EN BREF
A Villiers-le-Bel, le terrain d’aventures, construit avec les acteurs d’un quartier, permet aux enfants, aux adolescents et à leur famille de se réapproprier l’espace public. Fondés sur l’accès libre, la gratuité, l’anonymat, la libre activité, avec des animateurs en posture d’observation, ces terrains séduisent de plus en plus.
Reportage de Michèle Foin et Patrick Gaillardin, produit et publié par La Gazette des communes le 20 novembre 2023
Si l’on ne voit plus d’enfants et de jeunes dans l’espace public, ce n’est pas seulement à cause des écrans. « Mais aussi parce que rien n’est fait pour qu’ils puissent y vivre des expériences et explorer leurs limites », analyse Damien Lulé, chargé de mission aux Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active, les Ceméa, des Pays de la Loire, un mouvement d’éducation populaire adepte de l’éducation nouvelle (mouvement de réforme pédagogique international qui place l’enfant, plutôt que les savoirs scolaires, au centre de l’action éducative). « Créer et imaginer dehors fait pourtant partie des besoins des enfants », poursuit-il.
Or, bâtir des cabanes, jouer avec le feu, bricoler avec des outils… dans les années 70, c’était possible, dans les friches, sur ce que l’on appelait des « terrains d’aventures », liés au mouvement de jeunesse et d’éducation populaire.
Des rituels de sécurisation
Sur la base de l’autodiscipline, les enfants pouvaient inventer et expérimenter par le jeu. Mais, avec l’achèvement des grands programmes de construction, ces terrains de liberté ont disparu. En 2018, les Ceméa des Pays de la Loire recréent un terrain d’aventures à Angers, en partenariat avec le centre social Jacques-Tati, puis un autre à Saint-Nazaire. Ces terrains d’aventures, le plus souvent éphémères, sont fondés sur l’accès libre, la gratuité, l’anonymat et la libre activité. « Au début, il n’a pas été facile de convaincre les collectivités. Accueillir dehors un public qui n’est pas toujours captif est complexe. Cela leur faisait peur », raconte Damien Lulé.
Néanmoins, en 2020, avec l’arrivée du Covid, la nécessité pour les enfants d’investir les espaces extérieurs devient enfin une évidence. Les Ceméa trouvent alors des oreilles attentives au sein des collectivités. « D’autant que, dans les quartiers, beaucoup d’enfants sont désœuvrés par manque de centres de loisirs, qui ont tendance à être regroupés, constate Stéphane Bertrand, directeur national adjoint des Ceméa. Conséquence : depuis 2020, le nombre de terrains d’aventures double chaque année. »
Dans le Val-d’Oise, le terrain d’aventures de Villiers-le-Bel fait partie de la soixantaine qui a été en activité durant la période estivale. Il a éclos en 2021, dans la cité du Puits-la-Marlière, dans un bois qui servait de décharge sauvage aux habitants. Mis à disposition par Val-d’Oise Habitat, il est depuis trois ans investi par les enfants et les adolescents, encadrés par des animateurs de la ville et des Ceméa d’Ile-de-France. D’abord pendant un mois lors de son lancement, puis quatre en 2022, et sept cette année. « Nous accompagnons la libre activité et les projets des enfants », explique Antoine Cohet, directeur du terrain d’aventures et salarié des Ceméa. Les enfants y entrent et sortent comme ils le veulent, ils peuvent se poser et ne rien faire, prendre en charge un “métier d’enfant”, comme cuisinier ou magasinier. Des animateurs leur proposent de construire ce dont ils ont envie, en puisant dans une “matériauthèque” issue de filières de récupération.
Chaque jour, à 16 h 30, a lieu le « conseil d’enfants », durant lequel ils ont la possibilité de parler de leurs émotions, suggérer des projets et s’entendre sur les règles à faire évoluer. « Le terrain d’aventures n’est pas un objet de pacification sociale, prévient Antoine Cohet. Nous ne sommes pas des éducateurs de prévention, mais nous insistons avec les enfants sur la communication non violente et le vivre-ensemble. » En matière de sécurité, « nous avons une obligation de moyens. Nous mettons à disposition des scies égoïnes [petites scies à poignée et à lame rigide, ndlr], des marteaux, des visseuses… On ne va pas leur dire “Allez-y !” Nous avons donc développé l’outil pédagogique du permis, qui rassure tous les acteurs éducatifs, continue le directeur. Nous mettons en place des rituels de sécurisation et de conscientisation du danger afin de responsabiliser les enfants. D’après notre assureur, les terrains d’aventures génèrent moins d’accidents que les centres de loisirs ! » De plus, chaque soir, avant de partir, l’équipe d’animateurs vérifie que rien de dangereux ne traîne par terre et que les constructions sont solides.
Un rendez-vous quotidien convivial
A Villiers-le-Bel, le terrain d’aventures sert aussi de « base arrière » à l’école au-dehors, puisqu’il est situé dans une forêt, propice aux enseignements par la nature. Depuis l’an dernier, un partenariat a été noué avec les écoles du quartier. « Certaines classes utilisent le terrain d’aventures pour des projets de trois ou quatre séances, durant lesquelles les enseignants expérimentent une posture différente, qui laisse une plus grande liberté aux enfants, fondée sur l’observation de ce qu’il se passe. Pour certains, c’est une continuité, pour d’autres, une découverte. Le fait de laisser les enfants utiliser les outils, et de participer aux conseils d’enfants leur ouvre de nouvelles pratiques », détaille Alain Sartori.
A Trélazé (15 100 hab., Maine-et-Loire), l’idée de créer un terrain d’aventures est venue de l’association Vivre ensemble, en collaboration avec les Ceméa des Pays de la Loire. « Je les ai accompagnés dans ce projet avec la déléguée du préfet. Nous souhaitions le monter sur le quartier de la politique de la ville du Grand Bellevue, à proximité d’une aire de jeux aménagée dans le cadre du renouvellement urbain », indique David Cellier, chargé de mission « politique de la ville ». Ce terrain municipal, arboré, en retrait des habitations, a vocation à devenir un espace de convivialité pour le quartier. « Nous voulions en faire un espace de rencontres “en mixité” », complète-t-il.
Bilan du premier été 2023 : une fréquentation soutenue de toutes les parties de la ville, pour un coût d’environ 33 000 euros. Le projet a été financé dans le cadre de la cité éducative de Grand Bellevue. « Les habitants se sont davantage approprié cet espace. Cet été, c’est devenu pour eux un rendez-vous quotidien », se réjouit David Cellier. Quant à renouveler l’opération l’an prochain, la ville attend des précisions sur la nouvelle géographie prioritaire avant de s’engager.
Bientôt une charte de mise en œuvre
Tester un terrain d’aventures peut sembler facile. « Cela coûte moins cher qu’un centre de loisirs », admet Damien Lulé. Mais tout dépend de l’objectif recherché : vérifier que l’espace convoité est facilement identifiable ? Que des jeunes y passent ? Que les constructions bougent durant la nuit ? Il s’agit d’un sujet important pour des questions de sécurité.
D’après Damien Lulé, il ne faut d’ailleurs pas se lancer trop rapidement. « Quatre à cinq mois sont nécessaires pour maturer un projet de terrain d’aventures, estime-t-il. C’est une expérimentation en perpétuelle modification. » Il convient aussi de ne pas choisir le lieu à la légère. « Certaines implantations ont pu déranger des commerces illicites ou perturber les habitants », met en garde Stéphane Bertrand. Selon David Cellier, le terrain d’aventures doit s’inscrire dans une dynamique d’animation globale sur un territoire. « Ce n’est pas un “one shot”. Il faut le considérer comme un outil de développement social d’un quartier ou d’une ville et prendre le temps de communiquer et d’associer des partenaires autour de ce projet fédérateur », insiste-t-il.
Afin d’accompagner les collectivités et les associations, les Ceméa ont mis au point une charte qui devrait être signée dans les prochains mois par la Caisse nationale des allocations familiales, l’Etat et la Fédération des centres sociaux et socioculturels de France. « Pour que ce genre de projets continue à vivre, il est important de respecter un certain protocole de mise en œuvre, souligne Damien Lulé. Ce n’est pas un comité de censure. Nous voulons simplement montrer que la prise de risque est un enjeu éducatif, au cœur de notre fonction d’animateur. »