En Bref
Depuis 2017, à Montereau-Fault-Yonne, la Digitale académie raccroche les jeunes à l’enseignement supérieur, en leur offrant des centaines de formations diplômantes à distance et un coaching personnalisé. Une seconde chance pour des jeunes désorientés ou d’origine modeste. Reportage en Seine-et-Marne, où est né ce dispositif qui compte aujourd’hui dix antennes en France.
Publié dans We Demain n°32, novembre 2020
«Si tu ne vas pas à l’université, l’université vient à toi ». A la grille d’entrée de la Digitale académie, une pancarte annonce la couleur. Depuis 2017, les désenchantés d’une orientation subie, les déchus de Parcoursup, ou les décrocheurs de la fac, peuvent pousser la porte de ce campus pas comme les autres pour suivre une formation à distance. Ils découvrent alors que des études supérieures leur sont accessibles, à deux pas de chez eux. Et surtout, qu’ils peuvent choisir la voie qui leur plaît. Car pour les jeunes qui habitent à Montereau-Fault-Yonne, ou dans les environs, au sud-est de la Seine-et-Marne, l’offre universitaire est très réduite, à moins de consentir à une heure de trajet quotidien pour se rendre à Paris, mais près de deux heures pour aller à Créteil ou Marne-La-vallée. A proximité, ils ont en effet accès à quelques BTS en maintenance industrielle au lycée André Malraux de Montereau-Fault-Yonne, à quatre licences de droit à Melun, l’antenne de la faculté d’Assas, ou encore à une dizaine de DUT, formations très sélectives, et une vingtaine de licences professionnelles dans les domaines de la gestion, des sciences sociales, du bâtiment et de la maintenance sur les campus de Fontainebleau et de Sénart, antennes de l’université Paris-Est Créteil.
C’est pour faire face à ce vide universitaire qu’Yves Jégo, maire (UDI) de Montereau-Fault-Yonne de 1995 à 2017, a eu l’idée de ce “tiers-lieu”, installé au cœur du quartier prioritaire de Surville. Avec ses 450 m2 de bâtiments modulaires tout neufs, pour 25 euros par an plus le coût de la formation en ligne, la Digitale académie offre à une trentaine d’étudiants les conditions techniques de l’enseignement à distance : salles de cours, équipement numérique, et connexion haut débit. Surtout, et c’est là sa valeur ajoutée, chaque jeune y bénéficie d’un accompagnement personnalisé pour maintenir motivation et rythme de travail. S’ils ont accès à environ quatre cent cinquante diplômes de l’enseignement supérieur à distance, c’est surtout vers les 26 BTS (tourisme, comptabilité-gestion, communication…) accessibles via le centre d’enseignement à distance (CNED) qu’ils s’orientent. Des formations courtes, et qui débouchent directement sur l’emploi.
“Je me suis accrochée”
« Je passais devant la Digitale académie tous les jours, mais comme j’y voyais inscrit « université », je pensais que ce n’était pas pour moi », se souvient Brittany Angué, 26 ans. La jeune femme a quitté le lycée à 16 ans. « Mes parents vivaient au Gabon, et ma tante ne me poussait pas », regrette-t-elle. Sans diplôme, elle suit une formation d’hôtesse de caisse, et enchaîne CDD et intérim, tout en regrettant ses choix. « Mes collègues qui avaient le bac étaient mieux payés que moi ! » Brittany tombe enceinte à 22 ans. Quand son fils qu’elle élève seule entre en maternelle, elle envisage de passer le bac en candidat libre. La mission locale l’oriente alors vers la Digitale académie. C’est Thérèse Lobreau, coach et aujourd’hui directrice qui la reçoit et lui propose de passer un diplôme d’accès aux études universitaires (DAEU). Il s’agit d’assimiler en huit mois l’équivalent des programmes de première et de terminale. « Ce n’était pas facile, mais je me suis accrochée ! » Les cours en ligne commençaient en novembre. Thérèse Lobreau lui propose de venir deux mois plus tôt pour revoir les bases avec elle. « Pour ces jeunes en DAEU, il est impossible de rester seuls derrière l’ordinateur ! », plaide la coach, qui endosse le rôle de prof de français et d’histoire géo. Son diplôme en poche, Brittany s’inscrit sur Parcoursup en licence de langues étrangères appliquées (LEA) à Paris, mais se retrouve sur une liste d’attente de plus de quatre mille personnes. « Je ne pouvais pas m’inscrire à Evry ou à Créteil, s’était beaucoup trop loin », explique-t-elle. Elle choisit donc de se réinscrire à la Digitale académie, cette fois en BTS Négociation et digitalisation de la relation client. « Je m’attendais à une première année difficile. Finalement, j’étais plutôt à l’aise. Durant le DAEU j’avais appris à être autonome », se réjouit-elle. Elle entame aujourd’hui sa deuxième année de BTS. « Je veux continuer jusqu’à bac +5 ! » assure-t-elle, même si elle ne vit pour l’instant qu’avec le RSA et les allocations familiales.
Iris Gapundu, elle, a pu s’inscrire en licence de LEA à la Sorbonne, une fois son bac S en poche. Elle visait alors le Celsa, l’école de communication de la Sorbonne, à l’issue de sa deuxième année de licence, afin de poursuivre en journalisme. Mais à la fin du premier semestre, elle décroche, par manque d’intérêt. Elle profite de son temps libre pour visiter la Pologne, « riche en histoire », puis passe un brevet d’animation. Mais le rêve du journalisme, qu’elle entretient « depuis toute petite », ne la lâche pas. Une amie lui conseille la Digitale académie. « Je n’avais pas réussi à concrétiser mon envie. Thérèse a pris le temps de discuter avec moi de ce que je voulais faire, mais aussi de ce que j’aimais faire ! », témoigne Iris, qui nourrit aussi une passion pour la photographie. La coach lui propose alors un double cursus à distance, BTS communication et bachelor en photographie, qui lui permettra ensuite de présenter les concours d’écoles de journalisme. « C’est un peu lourd de suivre les deux programmes, mais avec l’aide des coachs sur mon planning, comme je suis motivée, ça va tout seul. En présentiel, je n’aurais jamais pu être à deux endroits en même temps », glisse-t-elle dans un sourire.
Présence obligatoire
La Digitale académie ne fait pas qu’orienter. Elle accompagne aussi les démarches pour rechercher une école, obtenir une bourse, trouver un stage… Quand Mattéo Leite, 19 ans, s’est tourné vers cette structure, Parcoursup venait de lui refuser son seul et unique vœu : une licence en sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps). « J’avais 13 de moyenne en terminale S. J’étais sûr de moi ! » explique le jeune homme qui n’avait prévu aucune alternative. « Mon frère venait de décéder. Psychologiquement, je ne me sentais pas prêt à quitter mes parents et mes amis. » Au delà du sport, Thérèse Lobreau cerne en lui l’envie de gérer une équipe et lui propose un BTS de management des opérations commerciales. Il pourra ensuite poursuivre en alternance dans une école de commerce spécialisée dans le sport, que la coach a dénichée. « Au final, peut-être que j’aurai un meilleur diplôme que Staps avec la Digital académie ! » espère Mattéo, des étoiles dans les yeux. D’autant qu’il s’en est fallu de peu qu’il ne décroche pendant le confinement. « Ce que j’aime ici, c’est qu’on s’entraide. Ca me donne envie de travailler ! », admet-il. Tout est fait pour créer une vie de campus. Une fois par mois, sont organisés des café débats, avec des intervenants extérieurs. Tous les matins, les jeunes commentent l’actualité en anglais avec un coach. Et pour les préparer à la recherche de stage ou d’emploi, des mises en situations ont lieu chaque semaine. Un concours d’éloquence sera même organisé d’ici la fin de l’année universitaire pour aider les jeunes à prendre la parole en public.
En 2019, 75% des étudiants de la Digitale académie ont réussi leurs examens. En 2020, avec le confinement, douze étudiants ont décroché et ne sont jamais revenus. « Une situation exceptionnelle » assure Thérèse Lobreau, même s’il n’est pas rare que certains obtiennent leur BTS en 3 ans. « Nos élèves ont des prérequis assez faibles lorsqu’ils viennent d’un lycée professionnel » justifie-t-elle. Le temps de présence obligatoire est d’ailleurs passé de 16 à 25 heures par semaine. « Nous voulons faire comprendre à l’étudiant qu’il doit aussi s’impliquer à la maison. Chaque matin son coach l’interroge sur ce qu’il a révisé la veille », ajoute Thérèse Lobreau qui tient à ce que les jeunes prennent conscience des attendus de l’enseignement supérieur. Son seul regret, c’est que les formations à distance soient désormais intégrées à Parcoursup avec une clôture des admissions mi-septembre. Bien trop tôt pour les jeunes que vise la Digitale académie, qui peuvent frapper à sa porte jusqu’en novembre. Il n’est alors plus possible de viser une licence.
Depuis 2017, la Digitale académie a essaimé. Neuf nouveaux campus ont ouvert en 2019 sous la bannière du Réseau des tiers lieux de l’enseignement supérieur (RITLES), financés par les collectivités. 141 jeunes y ont été suivis en 2019/2020, dont 60% ont réussi leurs examens. Le label des « Campus connectés », lancé en 2019 par la ministre de l’enseignement supérieur pour désenclaver les territoires éloignés des grands centres universitaires, s’inspire d’ailleurs de Montereau-Fault-Yonne. « C’est une opportunité en or qu’on nous offre ici ! » conclut Brittany qui n’a qu’une crainte : un reconfinement qui l’empêcherait de poursuivre ses études.