En Bref
Au sortir de la pandémie en 2020, la société prend conscience de sa déconnexion avec la nature, en particulier pour les enfants. Cet article raconte une journée à l’école maternelle en forêt de Marsac, en Charente, où les enfants apprennent dehors, au contact du vivant.
Les avantages de cette pédagogie sont nombreux : meilleure motricité, meilleure santé, meilleure maîtrise des risques, imagination débridée, construction d’un rapport écologique à l’environnement dès le plus jeune âge… Surtout, le temps passé dehors réduit le stress et augmente la concentration !
Mais cela a un coût. Pour les parents, cette école privée hors contrat coûte de 300 à 430 euros par mois, ce qui ne favorise pas la mixité sociale. Ils viennent parfois de loin, et doivent prévoir un déjeuner chaque jour. Quant aux éducateurs, ils travaillent beaucoup pour un simple SMIC.
Paru dans WE DEMAIN – n°35 en août 2021
Il a fallu attendre la pandémie pour que le ministre de l’Éducation nationale reconnaisse les vertus de la classe au-dehors. Mais à ce jour, une seule école en France permet à une quinzaine d’enfants d’apprendre tous les jours en forêt. Reportage à Marsac, en Charente. La brume se dissipe sur le domaine de Chantemerle, à Marsac, à une quinzaine de kilomètres d’Angoulême. 8 heures du matin, on devine la rosée sur les herbes hautes de la prairie, qui s’étalent en vagues argentées. Le domaine est vaste : trente hectares de bois et de prairies. Davina Weitowitz, la propriétaire des lieux, est à l’œuvre, flattant les flancs des chevaux qu’elle a en pension. Dans cette écurie « active », contrairement aux écuries traditionnelles où les équidés sont hébergés en box, ou en pré, ils peuvent galoper librement toute la journée. C’est sur ce principe, en suivant « son instinct », qu’elle a imaginé créer une école en forêt en 2017, quand elle voulut devenir mère. En Allemagne, son pays d’origine, il en existait deux mille. En France, aucune. Un an plus tard, l’unique école en forêt française ouvrait ses portes, quelques semaines après la naissance de son fils.
À 8h15, ce dernier déboule dans la cour, sur son tracteur en plastique, la mine guerrière. Elias vient de fêter ses trois ans. Par dessus ses vêtements, il porte une combinaison imperméable qui garde des traces de boue séchée des jours précédents. Dans cette école unique en France, hors contrat de l’éducation nationale, les enfants passent leurs matinées dans les bois, en toutes saisons. L’après-midi se déroule à l’abri dans une salle de classe, assis autour de petites tables, avec les outils pédagogiques classiques de l’école maternelle. Cette pièce d’une trentaine de mètres carrés, dans laquelle un dortoir a été aménagé, se trouve dans le domicile de Davina, et lui servait auparavant de chambre d’amis.
Majid El Ayouni, éducateur de jeunes enfants et Marie-Line Bonneau, animatrice nature, accueillent les petits âgés de 3 à 5 ans, avec douceur. Ils ont pris le relais l’an dernier des deux initiatrices du projet, qui s’étaient épuisées à le lancer. Avec Davina, ces dernières ont dû défricher et sécuriser plusieurs endroits de la forêt, bâtir des abris, recruter des familles et surtout, surmonter une suite d’obstacles administratifs et financiers pour répondre aux normes d’accessibilité et de sécurité. Fin 2018, éreintées, elles ont cherché leurs successeurs. « Pour nous, forcément, c’est moins dur ! Nous sommes arrivés avec un projet clé en main », sourit Marie-Line. Elle aussi comptait ouvrir une école en forêt, à Limoges, mais s’est découragée « face à la paperasse ».
MAQUILLÉS À LA GADOUE
Les enfants ont enfilé combinaison et bottes en caoutchouc, avant de se rassembler dans la cour. La petite troupe se met en chemin vers le jardin potager en contrebas. Sous un grand sapin, on a construit un abris de fortune à l’aide d’une grande bâche en plastique. C’est là que commence la classe, avec la date, la saison, et la météo du jour. Puis les enfants sont invités à s’ébattre dans le jardin avant d’aller en forêt. Adrien et Alçudina ont mélangé de la terre et de l’eau dans une petite casserole et se « maquillent » avec une boue grumeleuse. Un groupe de garçons joue avec des branches de bambous. Un autre s’affaire à la dînette, en remplissant les gamelles de cailloux et de brindilles trouvés par terre.
L’école compte aujourd’hui treize enfants. Elle pourrait en accueillir seize, mais il n’est pas aisé de convaincre de nouvelles familles. Sans aucune subvention, l’équilibre est fragile. « Pour la première fois depuis janvier, nous pouvons dégager deux SMIC », se réjouit Davina. Les parents déboursent de 255 à 355 euros par mois de frais de scolarité, selon leur tranche de revenus, la majorité se situant dans la fourchette basse. « Nous aimerions faire payer moins cher, mais ce n’est financièrement pas possible », admet Marie-Line.
JAMAIS MALADES
Les familles qui soutiennent le projet depuis le début sont très engagées. La plupart des parents viennent d’Angoulême, la ville la plus proche, et des villages environnants. Mais certains parcourent plus de trente kilomètres pour permettre à leur enfant de profiter de ce cadre exceptionnel. C’est le cas de Laurent Ferron, le père de Charly, 3 ans. « Mon fils s’épanouit ! Il sait ce que sont une fourmi, une coccinelle, les essences d’arbres », explique ce restaurateur, ébahi des progrès de son rejeton. Jérémie Camus y a mis Lou cette année et compte y inscrire son plus jeune fils. « Nous ferons un prêt et resterons dans la région jusqu’à son CP. » Il admet certaines contraintes : vérifier les tics sur la peau chaque soir, préparer le déjeuner… « Mais comme cette école a du sens, cela nous donne du courage. » Surtout, cette école est bonne pour la santé. « Les enfants ne sont jamais malades, et nous non plus ! » confirme Marie-Line.
Sur le chemin escarpé qui mène à la forêt, les enfants s’élancent dans la pente, avec une agilité étonnante. Elias, un bâton à la main, vrombit en tournant sur lui-même. « Les bâtons sont souvent des outils, pas forcément des armes, décrypte Majid. Quand ça devient un sabre laser, on en parle. Avec le temps, le groupe se créé un imaginaire collectif. Ici l’inspiration est agricole. Tout le monde est d’accord pour que le bâton devienne une débroussailleuse ! »
HURLEMENT DE JOIE
Sous un pin qui s’incline, invitation à l’escalade, une agora a été aménagée. Un atelier théâtre y est prévu. Les enfants sont encouragés à exprimer leurs émotions, à jouer des percussions, avant de finir dans un hurlement de joie qui se perd dans la canopée. « Ici, ils peuvent crier toute la journée, souligne Marie-Line qui a déjà travaillé en centre de loisirs. Contrairement à l’école classique, on offre aux enfants de l’espace pour exprimer leur colère et leur agressivité. Il y a moins de violence. »
Au bout de trois quarts d’heure, la classe se dirige vers « la forêt des jeux », où ils déjeuneront. Dans ce sous-bois, tout est incitation à grimper, sauter, et tester son équilibre : cordes, balançoire, hamac, vieux pneus… « C’est le lieu du jeu libre et de la motricité. Nous sommes là pour les observer, sans influencer », explique Majid. Quelques enfants ont repéré une liane accrochée au tronc d’un jeune chêne. L’arbre devient rapidement bateau pirate. Avec la liane, ils partent à l’abordage. Un peu à l’écart, Ruben, Alçudina et Louna préparent à manger avec des feuilles et des écorces de bois. « C’est nul de tuer les animaux !, s’exclame Ruben. J’aime pas manger de la viande. » Le garçon l’a donc bannie de ses menus. « Cette école lui a appris à être respectueux du vivant », confirme sa mère. Pourtant, à Marsac, on n’enseigne pas le « développement durable ». C’est au hasard des découvertes des enfants que les animateurs répondent à leurs questions. « Nous ne voulons pas leur confier la protection de la planète, mais les aider à grandir, se défend Marie-Line. Les adultes ont tendance à reporter cette charge sur les enfants. Au contact de la nature, ils vont forcément l’aimer davantage. » Ce que confirme Dominique Cottereau, chercheuse en sciences de l’éducation : « Le jeu libre permet à l’enfant de tricoter les liens avec l’espace qui l’entoure, de façon spontanée. Tout cela est précieux dans la construction de son rapport écologique à l’environnement. » Dans la forêt, la file s’allonge pour se balancer avec la liane. Majid prévient qu’elle peut rompre, mais n’interdit pas. « Le cadre, nous le donnons les premiers mois. Petit à petit, on se détache pour laisser l’enfant plus actif. Si dès le plus jeune âge ils sont en contact avec le risque, ils apprennent à s’arrêter quand c’est trop dangereux. »
PREUVE SCIENTIFIQUE
Depuis que l’âge de l’instruction obligatoire a été abaissé à 3 ans en 2018, les écoles hors-contrat doivent montrer qu’elles suivent le programme de l’éducation nationale. « Nous sommes inspectés deux fois par an. Nous respectons leurs instructions. Ils sont bienveillants, mais ils ont du mal à comprendre notre projet », reconnait Davina. « Pour l’inspection académique, le lieu de l’école, c’est la salle de classe. Mais dans la réalité, ce qui fait école, c’est le groupe d’enfants qui se déplace », insiste Majid. Dans le programme officiel du cycle 1 de la maternelle, on trouve pourtant des objectifs comme : « agir dans l’espace, dans la durée et sur les objets ; adapter ses équilibres et ses déplacements à des environnements ou des contraintes variés ; collaborer, coopérer, s’opposer… » Des champs où l’école en forêt fait merveille. Les bienfaits de l’apprentissage dans la nature sont d’ailleurs prouvés scientifiquement. La professeure Ming Kuo, de l’université d’Illinois, a passé en revue des centaines de recherches sur le sujet. Les résultats publiés en février 2019 dans Frontiers in psychology montrent que le temps passé dehors réduit le stress, et améliore la concentration des enfants. Il favorise également l’autodiscipline, la motivation et l’engagement dans les apprentissages. La nature encouragerait aussi la coopération entre les élèves et développerait leur créativité.
A la rentrée prochaine, cinq enfants quitteront l’école de Marsac pour une école publique classique. Ils seront les premiers, les parents des enfants sortis les années précédentes ayant opté pour l’instruction à domicile. « Les familles ne veulent pas que leur enfant soit dépassé, aussi nous travaillons avec eux l’écriture et l’entrée dans la lecture », souligne Majid, impatient d’avoir des retours sur leur intégration au CP. En Allemagne en tout cas, où ces écoles en forêt existent depuis plus de vingt ans, cela ne pose aucun souci pour la suite.
S’OUVRIR AUX ENFANTS DES CITÉS
Majid a justement travaillé en Allemagne dans des jardins d’enfants. « Là bas, les parents ont le choix, contrairement à la France, où les pédagogies alternatives ne sont accessibles qu’à une minorité ». Ouvrir cette école aux enfants des cités est pourtant un rêve de l’équipe. Davina a bien essayé de nouer des liens avec les écoles publiques environnantes, sans succès. Elle songe à faire appel à des entreprises pour parrainer des enfants. Le Crédit Mutuel du Sud Ouest vient déjà d’accepter de financer cinq sorties de découverte en forêt pour une école du réseau Espoir banlieue d’Angoulême. C’est un début.
Après trois années d’exercice, Davina aimerait sortir la salle de classe de sa maison. Elle cherche des financements pour l’installer dans une yourte, en forêt. Mais il est impossible d’implanter un habitat léger sur un terrain agricole, à moins de changer sa destination. « Je peux y mettre un hangar moche, mais pas une yourte sans fondation ! », s’étrangle-t-elle, vantant le système allemand : « Les écoles utilisent les terrains publics. Elles peuvent faire classe dans des roulottes puisque les enfants partent avant la sieste. » Malgré ces obstacles, elle pense à la suite : une école élémentaire en forêt pour accueillir Elias au CP. « Avec de la volonté, tout peut se faire ! » Elle se voit d’ailleurs bien créer la Fédération des écoles en forêt, « pour qu’il y ait mille écoles en France dans dix ans ! » Mais s’il ne se passe pas une semaine sans qu’elle ne reçoive de coup de fil d’un porteur de projet, aucun n’a encore permis d’ouvrir une école supplémentaire en forêt. Car en France, le principal frein, ce sont les locaux, analyse-t-elle, en rêvant que « les agriculteurs bio portent ces projets ».
En attendant, l’école au dehors creuse lentement son sillon à l’école de la République. Le ministre de l’Education nationale en personne, dans un mail du 22 avril 2021, a officiellement encouragé les enseignants à s’y essayer. La demande de formation de ces derniers est forte depuis la pandémie, à en croire la formatrice Crystèle Ferjou, une pionnière, qui a réussi à essaimer cette pratique dans cent trente classes des Deux-Sèvres. Certes, rien encore ne ressemble à l’école de Marsac, mais, comme le rappelle Dominique Cottereau, « c’est toujours à partir de pédagogies extérieures que s’est rénovée l’école ».Pour aller plus loin : https://ecole-foret.fr/