EN BREF
À Rennes, la crèche de la Clef des champs propose un accueil en plein air aux bébés de 3 mois à 3 ans. Jeux dans la boue et siestes en extérieur sont mis en valeur, pour les bénéfices du contact des touts-petits avec la nature
Produit et publié par Reporterre le 23 février 2024
À 9 heures du matin, en ce jour de février, quelques bébés dorment dehors, les bras en croix, emmitouflés dans des turbulettes. Les lits sont placés sous le préau, contre la baie vitrée, à l’abri de la pluie torrentielle qui s’est abattue sur Rennes. Le thermomètre extérieur affiche 13 °C, et le vent reste modéré. À travers les lits vitrés, les professionnelles de la Clef des champs veillent sur le sommeil des petits.
Au loin, derrière les immeubles flambant neufs du projet urbain de Baud-Chardonnet, à l’ouest du vieux Rennes, le balai des grues est incessant. « Les bébés s’endorment, même avec les bruits de construction », s’émerveille Anne-Laure Blot, éducatrice de jeunes enfants (EJE), et cofondatrice de la première crèche en France à pratiquer l’accueil en plein air pour tous les petits, de trois mois à trois ans.
Contrairement à d’habitude, le jardin de la crèche est désert. Avec la pluie, les plus grands sont restés à l’intérieur pour dessiner. Les parents les avaient pourtant habillés pour affronter les éléments. Bonnet, tour de cou, doudoune sans manche, combinaison imperméable et bottes en caoutchouc sont de rigueur en hiver dans cette crèche associative ouverte en 2022. Trente-cinq enfants y sont accueillis, avec une mixité sociale permise par un tarif réglé en fonction du quotient familial.
La boue, ça n’est pas sale !
« De mi-mars à fin novembre, les enfants sont dehors toute la journée », insiste Anne-Laure Blot. C’est l’un des piliers du projet pédagogique qu’elle et sa collègue, Benjamine Guelton, infirmière puéricultrice, mûrissent depuis 2017, année où la ville de Rennes les a mises en contact. « Nous préparons l’Homme de demain ! » se réjouissent les deux associées. « En proposant aux jeunes enfants des expériences positives répétées au contact de la nature, ils seront plus sensibles à sa protection », espère Benjamine Guelton.
Car ici, les éléments naturels sont privilégiés pour les activités. « La boue, ça n’est pas sale ! » répète Anne-Laure Blot. D’ailleurs les enfants adorent jouer dans le « bac à patouille ». « Dans ce coin de terre, ils peuvent rester des heures en coopérant », s’enthousiasme l’EJE, qui envoie régulièrement aux parents des photos de leur enfant couvert de boue.
Il n’a pourtant pas été facile de convaincre la Protection maternelle et infantile (PMI) d’Ille-et-Vilaine, qui autorise les ouvertures de crèche. « Au début, elle était d’accord pour les activités dehors, mais pas pour les siestes ni les repas », se souvient l’infirmière. Il leur a fallu présenter les exemples réussis du Danemark, de la Suède, ou de l’Allemagne.
Les bienfaits de l’apprentissage dans la nature font pourtant consensus : la professeure Ming Kuo de l’université d’Illinois a passé en revue des centaines de recherches sur le sujet. Les résultats publiés en février 2019 dans Frontiers in psychology montrent que le temps passé dehors réduit le stress, et améliore la concentration des enfants.
La nature encourage aussi la coopération entre les enfants et développe leur créativité. Quant aux siestes dehors, les parents et les professionnels sont aujourd’hui catégoriques : l’endormissement y est plus rapide et les siestes plus longues. Une fois la PMI convaincue, il restait à construire un protocole d’accueil en plein air adapté au climat breton.
Hygrométrie et observation
« Si les bienfaits de la nature ne se discutent plus, cela demande un cadre, prévient Angélique Gaudin, chargée de mission à la PMI. Entre 5 °C et 32 °C, les enfants peuvent sortir. Cela nécessite des vêtements adaptés, et une observation précise des enfants : ont-ils les mains bleues ? Est-ce qu’ils grelottent ? »
L’hygrométrie est également surveillée, de même que la qualité de l’air. Si le taux d’humidité ou le niveau de pollution dans l’air sont trop importants, « ça n’empêche pas de sortir, mais on évite les activités physiques intenses », explique Anne-Laure Blot.
À 10 h 30 la pluie s’est calmée. Six « grands » s’aventurent dehors. Le jardin est conçu pour favoriser l’autonomie des enfants. Debout ou à quatre pattes, les bambins grimpent sur la butte de terre, tandis qu’au fond du jardin des garçons font rouler des camions sur des troncs d’arbres. Des éléments auxquels s’opposait la PMI, de peur qu’ils ne tombent ou se plantent des échardes dans les mains.
« Nous voulons les faire vivre dans un univers qui ressemble à la réalité », insiste Benjamine Guelton. Les directrices ont donc planté des arbres fruitiers, malgré les sols potentiellement pollués par l’ancienne friche industrielle. Une épaisseur d’un mètre de terre propre a été amenée afin d’écarter tout risque pour les petits. « On nous a déconseillé de planter des arbres à racines profondes. Mais on n’est pas obligés de manger les fruits ! On va juste les montrer aux enfants », précise-t-elle. Car dans ce jardin de 300 mètres carrés, tout est matière à connaissance : « À 18 mois, les enfants savent déjà désigner menthe, verveine, gendarmes, escargots, papillons ou vers de terre », s’enthousiasme Anne-Laure Blot.
Dans ce projet, les parents sont acteurs. Jardinage, bricolage, communication, recherche de financements, organisation de sorties… ils choisissent un aspect dans lequel s’impliquer. Et toutes les compétences sont les bienvenues pour nourrir l’ambition vertueuse de la Clef des champs. Les professionnelles ont également 15 minutes par jour, décomptées sur leur temps de travail, pour contribuer à ces projets.
Travailler dehors, ça finit par devenir un besoin
« Les parents se sentent impliqués. Ici, tout le monde se tutoie », confirme Ophélie Malivain, au moment de sa pause déjeuner. Elle travaille à la crèche depuis décembre et crée avec des parents « des jeux extérieurs et durables », comme des « bouteilles sensorielles » bricolées pour contenir des éléments naturels ou colorés. Fanny Mouchel, rejoint ses collègues dans la salle de pause. « Il commence à faire froid », admet-elle en se frottant les bras. Elle vient passer deux heures dehors à surveiller la sieste des grands avec trois autres collègues. « Travailler dehors, ça finit par devenir un besoin », lance-t-elle.
Comme nombre de ses collègues, elle est en reconversion professionnelle : « La Clef des champs, c’est ma première crèche. Je l’ai choisie pour le projet pédagogique. » Pour Marlène Bouvet, qui cumule 15 ans d’expérience dans la petite enfance, c’est un soulagement de ne plus interdire aux enfants de toucher à la terre. Le sens qu’elles trouvent à leur travail se ressent sur l’absentéisme et le turnover, le mal endémique du secteur de la petite enfance.
« Les équipes sont stables, contrairement à d’autres crèches », confirme Angélique Gaudin. Les dirigeantes se disent très sensibles au bien-être au travail. Le taux d’encadrement y est plus important qu’ailleurs [1]. Les salariées reçoivent régulièrement des primes, et l’ergonomie est pensée pour éviter « la mise sous tension du corps », explique Anne-Laure Blot. Ici, cela consiste en une disposition faite pour ne pas avoir à se baisser trop souvent, et l’extérieur qui évite les résonances fatigantes des cris des enfants.
Après la sieste, les enfants sont impatients de sortir. Ils sont tous rhabillés avec des tenues de pluie intégrales. Leur attention se tourne vers les escargots et les limaces, que l’averse a fait sortir des bacs de culture. Émerveillés, ils manipulent sans crainte les vers de terre.
Sauter dans les flaques
À 15 h 30, à l’heure du goûter, les petits se précipitent pour nettoyer les tables pleines de boue. Mais l’accalmie est de courte durée et les derniers finissent de manger sous l’ondée. Une heure plus tard, un premier groupe rentre à l’abri. Ceux qui restent continuent à sauter dans des flaques de plus en plus grosses.
Quand les premiers parents arrivent, les enfants sont répartis dans les différents espaces intérieurs. Certains se font lire des histoires, d’autres jouent. Tous semblent apaisés. Aurélien Ridel, le père de Luna, surgit, trempé mais souriant. « Laisser les enfants sauter dans les flaques, c’est en accord avec mes valeurs. J’ai grandi à la campagne. C’est moins aseptisé que certaines crèches », dit-il en enfilant les bottes boueuses à sa fille.
« Quand ma fille est arrivée à la crèche en septembre, elle avait trois mois. À cet âge, ils mettent tout à la bouche ! Je dois dire que je m’inquiétais un peu. De fait, ils mangent de la terre et de l’herbe. Mais ils ne meurent pas », rit Claire Okwudike, qui a depuis investi dans une machine à laver avec un programme « 14 minutes » pour tenir le rythme.