En Bref
L’importance d’un contact réel des enfants avec la nature, pour mieux grandir, mieux se sentir mais aussi mieux la protéger fait l’objet d’une récente prise de conscience des collectivités locales. Si elles ont un rôle à jouer dans cette évolution, pour inspirer les enseignants, elles ne peuvent les contraindre. C’est par la co-construction avec l’ensemble de la communauté éducative qu’elles soutiendront le mieux une démarche qui questionne l’école de Jules Ferry dans ses fondements.
Article paru dans la Gazette des communes 6 septembre 2021.
Les collectivités ont un rôle à jouer pour faciliter l’apprentissage dans la nature, en soutenant et en offrant un cadre propice aux projets des enseignants et des éducateurs volontaires. Nadia Lienhard fait partie des rares enseignants qui ont décidé de sortir tous les jours pour faire classe dehors. Depuis septembre 2020, chaque matin ou presque, elle emmène ses élèves de moyenne et grande section de maternelle dans « la peupleraie », à vingt minutes à pied de l’école primaire Libération. Une prairie d’un hectare dans laquelle les enfants profitent des joies de la classe en plein air. C’est elle qui a initié la pratique à Rochefort (Charente-Maritime), convaincue par Christelle Ferjou, conseillère pédagogique dans le département voisin des Deux-Sèvres, qui elle, creuse ce sillon depuis 2010. Sur cette aire naturelle entretenue et aménagée par la ville, les enfants trouvent un juste équilibre entre défoulement, jeux libres et attention soutenue lors de séquences préparées par Nadia Lienhard et Christelle Fauquemberg, l’agent territorial spécialisé des écoles maternelle (Atsem) qui travaille dans sa classe.
Tenues de pluie
« Il n’y a pas besoin de grand chose pour faire classe dehors. Il suffit de se saisir de ce que la nature offre pour entrer dans les apprentissages », explique l’enseignante. « Même dans un milieu plus ordinaire, plus plat, potentiellement moins riche qu’une forêt, on peut enseigner dehors et offrir aux enfants des conditions d’apprentissage bénéfiques pour leur santé et leur développement », confirme de son côté Christelle Ferjou. Le soutien de la ville est néanmoins précieux pour préparer le terrain, et équiper enfants et agents de tenues de pluie. « La « peupleraie » est un espace naturel. Nous conservons la végétation existante en la mettant en valeur », détaille Eric Bourdajaud, directeur des espaces verts et de la propreté de Rochefort. Une butte de terre a été créée, et des arbres fruitiers ont été plantés. Les différentes zones d’ateliers ont ensuite été délimitées par une tonte plus rase de l’herbe. Mais partout ailleurs, la végétation est préservée pour favoriser la biodiversité que les enfants vont pouvoir observer. « Il est important d’installer des troncs d’arbres ou des rondins de bois qui vont faire venir une micro-faune qui va se nourrir des écorces », ajoute Christelle Ferjou.
Depuis la pandémie la demande de formation des enseignants est forte, si l’on en croit cette pionnière qui a réussi à essaimer cette pratique dans cent trente classes des Deux-Sèvres. Si le ministre de l’Education nationale a récemment encouragé la classe dehors dans un message à tous les enseignants, ce mouvement peut difficilement être impulsé depuis la rue de Grenelle. « Les initiatives locales sont un levier fort pour engager les transformations nécessaires », affirme Rozenn Merrien, présidente de l’Andev. A Rochefort, le lien s’est fait directement entre l’enseignante et le service des espaces verts. A Poitiers (Vienne), un espace pour l’école au dehors a été aménagé au parc de Blossac, à quelques minutes à pied de l’école Renaudot. « J’ai mis la directrice en relation avec les agents des espaces verts pour qu’ils lui conseillent un endroit adapté. Aujourd’hui elle travaille directement avec eux, notamment quand elle a besoin de matériaux naturels pour les activités pédagogiques », explique Hélène Paumier, adjointe à l’éducation et aux écoles publiques. A Lille, l’association Chico Mendès, financée par la ville, accompagne deux classes volontaires par an dans leur première année d’apprentissage au dehors. Une fois sur les rails, l’enseignant peut ensuite poursuivre seul son projet. A Paris, c’est aux enseignants de trouver un espace pour faire classe dehors. « Le service des espaces verts valide ensuite que c’est possible », détaille Raphaëlle Thiollier, cheffe de projet des Cours Oasis. Pour les accompagner, la ville est en train d’éditer un guide pratique avec l’aide de la coalition « Ecole dehors », qui contiendra de nombreuses ressources clés.
Développement durable
Au-delà des enseignants volontaires, comment les collectivités peuvent-elles amplifier la pratique ? Pour Matthieu Chéreau, il est impossible de contraindre qui que ce soit à mettre en place des approches pédagogiques nouvelles. « Seuls les directeurs d’école et les enseignants les plus volontaires s’engagent dans les projets, souligne-t-il. Ce sont les meilleurs ambassadeurs auprès de leurs voisins de classe ! » Il faut donc qu’elles donnent envie aux enseignants de s’aventurer à l’extérieur. « Nous devons aménager des espaces agréables, apaisés et attendus des enfants. Que l’on fasse de nos parcs des terrains d’aventure et d’exploration ! Nous convaincrons alors très facilement les enseignants de faire classe dehors », espère Céline Royer, directrice du projet éducatif global à Lille. La collectivité peut aussi impulser la dynamique avec les centres de loisirs. C’est la voie qu’a choisie la communauté de communes du Savès. Cette collectivité a beau être rurale à 90%, « les enfants restent cloîtrés chez eux à chaque période de vacances scolaires », constate, amère, son président Hervé Lefebvre. En 2019, il entend parler à la radio les auteurs de « L’enfant dans la nature », un livre-enquête sur la pédagogie dans la nature et ses bienfaits. Pour l’élu, c’est un « électrochoc ». Il se met en tête d’impulser une démarche expérimentale avec tous les partenaires du territoire. Si la CC a la compétence scolaire et périscolaire, « les maires sont pivots, assure-t-il. Dès que les enfants sortent, les équipements, les terrains, sont de leur ressort. » Il associe également la Caf, la Protection maternelle et infantile (PMI) et l’Education nationale, qui, elle, demande des garanties quant à l’acquisition des savoirs fondamentaux. Une charte du dispositif « grandir dehors » est signée en octobre 2020 qui définit les engagements de chacun et la gouvernance d’un projet ambitieux : il s’agit en effet de « permettre aux enfants à la fois d’apprendre, de se développer et de s’épanouir, au contact de la nature ». Surtout, il concerne tous les temps : scolaires, péri-scolaires et extrascolaires. Quatre écoles pilotent se lancent avec les classes de maternelle, sur les dix de la CC. Des ateliers conjoints professeurs et animateurs sont organisés en octobre 2020 pour leur donner des outils pédagogiques et depuis avril 2021, les enfants sortent une journée par semaine. Et les retours des professeurs sont tellement bons que la démarche va se généraliser à la rentrée 2021.